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Photo du rédacteurMichelle Félicie

ELLE S’APPELAIT SIALLA


C’est Noël dans quelques jours, je prends plaisir à regarder des films qui diffusent cet esprit, il y a toujours cette petite larme qui s’échappe de mes grands yeux, tellement ces histoires me collent à la peau.

En zappant sur Netflix, je suis attirée par un film nigérian, tiens-donc Noël à la « naija », why not ! Je sens les larmes monter à mes yeux, cette séquence où le bad-boy réalise qu’il est fou amoureux de celle qu’il voulait piéger, pause, une pause s’impose à moi avant de poursuivre cette histoire hilarante et pleine de suspens.

Je me dirige rapidement au petit-coin, afin d’aller au Lac de Pissidie, et puis au fond de moi j’entends cette voix qui m’est familière : « Je regarde les films parce qu’ils me permettent d’oublier mes problèmes, ils m’éloignent de ma réalité »

Soudain mes yeux se remplissent, je me surprends à pleurer, nous sommes le 18 décembre, dans 48h exactement cela fera 2 ans qu’elle est partie. Je réalise pourquoi depuis quelques jours je me sens vide et morose, j’ai cru que c’était à cause de l’hiver, mais en fait non, elle me manque terriblement.

Il y a deux mois, en regardant une de mes photos, ma sœur se moquait de moi, elle me chahutait : « ton nez est différent, il n’est pas comme pour nous , les gens qui commentent cette photo disent que tu lui ressembles, tu n’es pas notre sœur, c’est ta vraie maman, vous avez le même nez »

Elle n’a jamais connu la joie de la maternité, cependant elle était fière de dire à tous et à toutes : « voici ma fille, voyez combien nous nous ressemblons toutes les deux »

Je ferme les yeux et je peux la voir rire aux éclats, être joyeuse comme elle ne l’a jamais été, comme si elle dansait une valse éternelle.



- Pourquoi tu es comme ça avec moi, Mamie ? Donc tu allais attendre quand pour me dire que tu es en France ?

- Pardonne-moi ma chérie, je n’ai pas eu le temps de te dire...

- Tu n’as jamais le temps, apporte-moi mon cadeau à ton retour...



Je me suis installée sur son vieux canapé en cuir me faisant la promesse de prendre mon 13ème mois pour refaire sa salle de séjour, j’avais déjà identifié que je lui prendrai un nouveau canapé, une table à manger et des chaises, je pensais aux rideaux que j’allais lui proposer...

Je l’appelais mais elle était très loin dans ses pensées, en fait elle ne m’entendait pas, son regard était lointain, elle était assise à sa fenêtre, je l’ai appelé pendant plus de 20 minutes, elle était totalement absente.

Elle ressemblait à une personne qui était sonnée par les médicaments, elle avait les traits fatigués.

En une fraction de seconde, elle se retourna et me fixa, j’ai eu froid dans le dos, je ne l’avais jamais vue dans cet état, elle me fixa sans me voir.

Je me suis souvenue de Charlotte, cette grande sœur du Congo-Brazzaville, en 2007 on la ramenait dans son pays, c’était fini, elle était présente que de corps, elle ne parlait plus, elle regardait dans le vide, je suis montée dans la voiture, à l’arrière et je lui ai tenu les mains, on m’a dit c’est peine perdue Michelle, elle ne te voit pas, et à un moment donné, elle m’a serré les mains, et elle m’a dit trois mots : Merci beaucoup Michelle. Tout le monde était surpris.

Lorsque Sialla me fixa j’ai tout de suite compris que je passais mes derniers instants avec elle.

J’ai commencé à refouler cette vilaine intuition, et son regard s’est illuminé :

« Maman offre moi une pizza de chez la Gourmandine, je veux manger une pizza avec toi »

A chaque fois qu’elle voulait obtenir quelque chose de moi, elle m’appelait Maman, parce que Bissais, ce prénom que je porte est celui de sa mère.

J’ai passé la commande, je n’avais pas véritablement l’appétit, j’ai juste pu engloutir qu’une seule tranche de pizza.

- Voici le cadeau que je t’ai ramené du Canada

- Depuis tu es revenue c’est seulement aujourd’hui que tu m’apportes mon cadeau, dépose-le à mon chevet


Je l’ai embrassé sur le front, je suis partie sans me retourner, avec une énorme boule d’angoisse dans la poitrine, je suis montée dans mon taxi j’ai juste regardé une dernière fois à sa fenêtre.


Les semaines qui ont suivi, je recevais sans cesse des appels et des messages de sa part auxquels je ne répondais presque pas, je l’évitais, je ne voulais pas la voir, j’inventais des excuses.

Ce 12 décembre 2019, en me rendant au boulot à l’aurore, je lui ai envoyé ce message qui disait ceci en substance : « Je te demande pardon, je t’aime tellement mais je n’aime pas te voir dans cet état, dis-moi s’il te plait de quoi souffres-tu ? Qu’est ce qui se passe ? Je veux te revoir debout... »

J’ai pleuré à chaudes larmes en envoyant ce message, j’avais l’impression qu’elle souffrait, mais je ne savais absolument rien, moi qui étais tout le temps avec elle, qu’est ce qui avait pu bien se passer en seulement 3 mois, elle était pourtant pleine de vie avant que je parte en voyage, du moins ce qu’elle avait laissé entrevoir.

Elle m’a appelé après avoir reçu mon message, je n’ai pas eu le courage de décrocher toutes ses tentatives d’appels. Finalement j’ai pris mon courage à deux mains je l’ai appelé, c’était la dernière fois que j’entendais sa voix : « Mamie, je sais que si tu viens me voir, je sais que si tu pries pour moi, Dieu fera un miracle pour moi, tu es ma maman, je t’aime, s’il te plait viens me voir »


Une semaine après, Sialla nous quitta, je ne l’ai plus jamais rappelé, je ne suis pas allée la voir.

Le jour de sa levée de corps, je me suis ruée dans le corbillard, me jetant comme une furie sur son cercueil, j’étais inconsolable, je voulais qu’elle se réveille, nous n’avions pas fini de critiquer les membres de notre famille, nous n’avions pas fini de nous moquer de ses frères et sœurs et de mes cousins, je me sentais mal, j’ai perdu plusieurs personnes qui m’étaient chères, je n’avais jamais eu ce genre de réaction malgré la douleur, je suis toujours restée digne.

Elle se savait malade depuis longtemps, et elle l’avait caché à tout le monde, même à moi, je n’ai pas su lire entre les lignes, je voyais juste ceci « c’est une enquiquineuse, mais je l’aime quand même, après tout elle dit toujours qu’elle n’a que moi »

Elle se sentait seule, elle était seule, elle avait un caractère bien trempé, on la fuyait tout le temps, on la surnommait « la générale du racket », je n’avais jamais réalisé qu’elle rackettait pour des personnes qui étaient dans le besoin.

« Mamie, envoie moi 50000F s’il te plait », lorsque je recevais ces messages répétitifs, je bloquais son numéro pendant un moment et après je débloquais en prétextant que j’avais perdu mon téléphone, je ne savais pas lui dire non, le seul moyen pour moi était d’inventer une mission ou une omission, cependant à la fin de la journée, elle obtenait toujours ce qu’elle voulait.


Souvent lorsque je me sens seule, je ferme les yeux et je l’entends rire, et je me mets à rire, c’est ce que nous avions de commun en plus de notre passion pour la cuisine.


Vous avez très certainement des personnes dans vos familles qui sont assez spéciales, on préfère les fuir à cause de leur comportement ou de leurs réactions excessives qui visent parfois la méchanceté, donnez-leur de l’amour autant que vous pouvez, parfois cela ne fonctionnera pas, la personne vous humiliera, vous découragera, mais essayez si vous en avez la force.

Parfois aussi prendre des distances est bénéfique pour ne pas que des situations fréquentes d’incompréhensions soient votre lot quotidien, malgré la distance que vous déciderez de prendre ou que vous avez décidé de prendre, mettez-vous à l’esprit que ces personnes ont juste besoin d’amour, si vous n’arrivez pas, demandez à Dieu selon vos croyances de prendre le relais, laissez-le tout gérer.

Sialla était très difficile, tout le monde craignait ses réactions épidermiques, mais moi j’ai su m’éloigner quand il le fallait et j’ai su être là quand il le fallait également, j’acceptais même de devoir supporter certains de ses comportements, c’était sa faiblesse, elle ne pouvait plus se passer de moi.

Mon esprit n’a juste pas accepté de la voir vivre ces derniers instants, mon esprit n’a même pas validé le fait de voir sa dépouille pour pouvoir faire mon deuil, je suis arrivée à 5 minutes de la fin de sa levée de corps, tellement j’avais besoin de garder une tout autre image d’elle.


Entourez-vous des personnes qui vous aiment, ne restez pas seuls, ne faites pas subir aux autres vos souffrances antérieures et intérieures, sinon ils vous fuiront, parfois la solitude se transforme en amertume et en tristesse qui devient un poison qui nous ronge à petit feu (pour ceux qui ne sont pas appelés à vivre seuls, il y en a qui ont la vocation d’être seuls).


C’est bientôt Noël, regarde autour de toi et manifeste de l’amour à une personne qui en a besoin, ce peut être par un mot, un geste, ou une présence, si la personne te balance autre chose au visage, comme une parole biblique qui parle d’aimer en acte et en vérité, ne te décourage pas demande à Dieu de prendre le relais mais au moins fait ta part.


Il y a quelqu’un qui est très proche de toi, qui a juste besoin de savoir que tu l’aimes, l’amour que tu lui donneras, mettra de la chaleur et de la joie dans sa vie, si tu ne sais pas comment t’y prendre, ne fabrique pas, si tu crois que Dieu existe, demande-lui juste de prendre le relais, il le fera.


A vous qui vivez seuls et qui pour une raison ou une autre êtes coupés de vos familles ou de certains membres de vos familles, les membres de vos familles avec lesquels vous ne vous entendez certainement pas, ne sont pas des « sorciers » ou des personnes nocives, on ne peut jamais s’entendre à 100% dans une famille, ne vivez pas repliés sur vous, ne coupez pas avec vos proches pour des futilités, à moins que votre vie soit en danger.









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1 comentario


Merci pour ce partage. Tu m'as fais couler une larme, mais à la fois donne une leçon. Merci pour ton existence, Michele.

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